
En 2008, nous réalisons un rêve puissant de céramiste, celui de posséder son propre gisement d’argile, en construisant le nouvel atelier sur le site d’une ancienne tuilerie où les caprices de la géologie ont fait se côtoyer deux matières premières complémentaires, une argile grasse jaune et un « cran » rouge déjà plastique.



Car tout commence dans le grand atelier, celui de la planète où les éléments sans cesse se transforment, s’adaptent, cristallisent ou retournent à l’état liquide. Le travail des pâtes et des couvertes débute à la carrière, dans le discernement des matières premières adaptées aux besoins ou aux phantasmes du moment, leur choix, leur extraction. Les pâtes de grès, dont nos deux argiles constituent aujourd’hui la base, n’ont rien à envier aux meilleurs grès de Chine ou du Japon ! Les pâtes de porcelaine, elles, sont composées de plusieurs kaolins, complémentaires dans leurs propriétés, celui de Beauvoir dans l’Allier étant toujours majoritaire dans le mélange : très peu plastique, il est d’une blancheur incomparable et résiste à tous les cycles de cuisson et de refroidissement. Son manque de plasticité est compensé par l’apport d’une petite quantité d’halloysite, une argile qui broyée finement acquiert des propriétés de plasticité et de résistance mécanique remarquables, dont le gisement, situé une forêt de Dordogne, est aujourd’hui épuisé. Les feldspaths viennent du Morvan, de la Drôme, de la Bavière ou du Portugal ; la silice de la Drôme ou du Vaucluse. L’arkose du Mont-Saint-Vincent fournit les deux pour les pâtes dont la blancheur n’est pas l’impératif premier.
Selon la nature des constituants et le but recherché, les composants passent successivement par les opérations du concassage, du broyage, du tamisage, de la décantation, du pressage, dans un atelier équipé de concasseurs, broyeurs Alshing, tamis vibrant, filtre-presse. La pâte obtenue en galettes passe ensuite dans un autre atelier pour être remélangée au pétrin, désaérée au malaxeur-désaérateur avant d’être stockée en cave pour une lente maturation.


Le tournage, précédé d’un malaxage manuel, est pratiqué à l’orientale, c’est-à-dire au plus près de la forme finie. Le tournasage se limite à parfaire le profil des pièces et à donner forme aux parties inaccessibles au tournage : pied et base.

La préparation des couvertes comme celle des pâtes est d’abord affaire de matières premières, le plus souvent récoltées brutes ou déjà affinées par le travail de la nature ou de l’homme : roches, cendres, argiles, fines de carrière, boues de sciage des marbreries. Leur formulation procède d’un empirisme issu d’une longue pratique qui a permis peu à peu de prendre du recul avec le calcul théorique, moléculaire, au profit d’une attention fine à la nature, à la granulométrie, à l’histoire des constituants et surtout à la conduite du feu. Les protocoles de cuisson, et plus encore de refroidissement, qui peuvent paraître complexes dans leurs manipulations, rejoignent dans leurs effets la simplicité des phénomènes naturels comme le volcanisme ou la glaciation. C’est d’ailleurs dans la caldeira même du piton de la Fournaise à la Réunion, où une mission nous a conduits régulièrement pendant quelques années, que j’ai imaginé la plupart des courbes de cuisson en cours à l’atelier aujourd’hui.

Le four à gaz en usage actuellement est le dix-septième que j’ai conçu et construit pour mon usage personnel ; c’est un prototype performant, au propane, qui intègre un apport de liquides en cours de cuisson, pour obtenir une atmosphère de vapeur d’eau ou provoquer une réduction intense par la formation d’hydrogène (cracking). Un four beaucoup plus petit, électrique et à combustibles liquides, est entièrement piloté par ordinateur. Il permet, par exemple, de déterminer des plages précises de cristallisation et de mesurer les réactions de la matière en cours de cuisson sur de petites pièces qui, sont réalisées avec la même attention que toutes les autres. Je ne fais jamais d’essais sur des éprouvettes ; chaque pièce, grande ou petite, est à la fois une fin en soi et un essai.


Le tout nouveau four à bois, dix-huitième de ma conception, allie ergonomie, économie et écologie ; il autorise des cuissons sans fatigue à 1 340° en six heures avec 160 kilos de bois et des fumées propres à la sortie de la cheminée, malgré des réductions intenses à l’intérieur de la chambre. Il me permet de reproduire en vraie grandeur les atmosphères de cuisson des potiers Song
Le trajet de la chaîne opératoire part donc du sous-sol, et souvent y retourne, toutes les pièces sorties du four qui ne répondent pas à mes espérances finissant concassées et enfouies. Les rescapées prennent le chemin d’une exposition ou de l’espace-galerie, où elles attendent la rencontre d’un amateur, d’un galeriste ou d’un conservateur pour s’en aller vivre leur vie.